La perspective de Paul Diel sur le sevrage des benzodiazépines se fonde sur un principe essentiel: la mise en lumière des mécanismes psychiques qui alimentent la dépendance. En comprenant l’origine de ses peurs et en affrontant l’angoisse avec sincérité, l’individu découvre qu’il n’est pas condamné à vivre dans la fuite perpétuelle. L’examen de conscience, la remise en question des illusions, ainsi que la réactivation de la motivation profonde permettent d’opérer un changement intérieur durable. Selon Diel, c’est en réintégrant l’angoisse dans le champ de la conscience que l’on se libère, et qu’on retrouve sa véritable autonomie
Paul Diel (1893-1972) est un psychologue franco-autrichien dont la théorie de la “psychologie de la motivation” propose une compréhension profonde de l’intériorité humaine. Appliquée au sevrage des benzodiazépines, son approche insiste sur la nécessité d’un examen lucide des motivations et des illusions qui sous-tendent la dépendance. Les benzodiazépines, largement prescrites pour calmer l’angoisse et faciliter le sommeil, peuvent créer une habitude tenace: le sujet, persuadé de ne plus pouvoir gérer ses émotions sans cette béquille chimique, renforce peu à peu la croyance en sa fragilité fondamentale. Pour Diel, la solution ne réside pas dans la simple volonté de cesser le médicament, mais dans un travail introspectif qui éclaire la raison profonde de cette peur.
Selon la psychologie de la motivation, tout être humain est mû par un élan essentiel, une aspiration à la réalisation intérieure. Cependant, des blessures narcissiques, des sentiments d’infériorité ou des inquiétudes diffuses peuvent obscurcir cet élan et générer des illusions défensives. Dans le cas de l’usage prolongé des benzodiazépines, l’illusion centrale peut être la conviction erronée que l’on est incapable de faire face à l’anxiété par soi-même. Diel souligne qu’il est vain de condamner cette dépendance sans s’interroger sur ce qui l’alimente: l’individu cherche avant tout à apaiser une souffrance psychique, sans avoir forcément les outils pour remonter à la source de cette souffrance.
Le travail préliminaire au sevrage consiste donc à remettre en cause ces illusions. La première étape est celle de la reconnaissance honnête des peurs. Plutôt que de nier son angoisse, on admet qu’elle existe et qu’elle a servi de justification à la prise d’anxiolytiques. Cette lucidité initiale prépare le terrain: il devient possible d’aborder la dépendance non comme un simple caprice ou une faiblesse de volonté, mais comme un symptôme d’un déséquilibre plus profond. Diel invite à consigner par écrit les épisodes d’angoisse, à en préciser les circonstances et les pensées associées. Ce travail de journal aide à voir de quelle manière la peur s’immisce dans la vie quotidienne et quels scénarios intérieurs la maintiennent.
Au fil de cet examen, on découvre souvent que l’angoisse est nourrie par des représentations négatives de soi ou par la crainte du jugement d’autrui. Les benzodiazépines, en calmant artificiellement cette peur, empêchent l’individu de l’explorer et de la comprendre. Diel met en lumière le mécanisme d’évitement: on préfère neutraliser immédiatement l’émotion pénible plutôt que de s’y confronter. Toutefois, pour sortir d’une dépendance, il est indispensable de changer de rapport à l’angoisse. On ne la fuit plus, on l’approche comme un phénomène psychique à décoder. C’est ce que Diel appelle la voie de la sincérité: reconnaître sa vulnérabilité et s’en servir comme tremplin pour un examen en profondeur.
Une fois cette attitude d’ouverture installée, la démarche du sevrage peut commencer. Sur le plan pratique, il s’agit généralement de réduire progressivement la dose afin d’éviter un choc brutal. Mais la psychologie de la motivation met en garde contre l’illusion de la toute-puissance: baisser la posologie ne suffira pas si on ne se penche pas sur la motivation inconsciente qui nous pousse à compenser nos peurs par la prise d’un médicament. Diel considère que la volonté doit être soutenue par la compréhension intime des raisons du sevrage. Autrement dit, on ne cesse pas seulement parce qu’il “le faut”, mais parce qu’on découvre que cette dépendance ne correspond pas à la vérité de notre être en quête d’autonomie.
Dans cette perspective, les périodes de manque, ponctuées de rebonds anxieux, indiquent là où la psyché n’a pas encore assimilé l’expérience de la peur. Au lieu de vivre ces moments comme des échecs, Diel encourage à les considérer comme des occasions de progresser. Chaque montée d’angoisse pendant la diminution du produit est l’opportunité de reconnaître la souffrance sous-jacente. Il s’agit alors de se poser les questions clés: pourquoi cette angoisse survient-elle maintenant? Quelle représentation interne la nourrit? Suis-je en train de retomber dans l’illusion de mon incapacité, ou bien ai-je peur d’une perte de contrôle? En y répondant avec sincérité, on désamorce peu à peu le pouvoir fantasmatique de l’angoisse.
Le recours à l’écriture introspective ou à un dialogue sincère avec une personne de confiance peut renforcer ce travail. L’important est de ne pas rester prisonnier de la honte ou de la culpabilité. Selon Diel, la culpabilité stérile enferme le sujet dans l’auto-condamnation, tandis que la culpabilité libératrice l’amène à reconnaître ce qui doit être changé, sans se flageller. Dans le sevrage, il convient d’admettre que l’on a voulu fuir la souffrance et qu’on a cru un temps ne pouvoir s’en passer. Cette reconnaissance, si elle est dénuée de jugement moral, ouvre à la réparation intérieure: on se pardonne d’avoir été illusionné et on se réconcilie avec sa part blessée.
Sur le plan concret, la personne qui se détache peu à peu des benzodiazépines peut faire l’expérience de nuits difficiles. Au lieu de maudire ces moments, elle est invitée à en explorer les causes. Que ressent-elle quand la nuit tombe? S’agit-il de la peur du vide, de la peur de ne pas se rendormir, ou de la crainte de se retrouver seul avec ses pensées? Cette forme d’auto-questionnement se situe au cœur de la méthode dielienne: il s’agit de briser le cercle vicieux qui nous fait confondre le symptôme et sa source. En identifiant clairement les origines de la peur, on ôte à celle-ci son caractère insurmontable.
Parallèlement, on s’oriente vers l’élan de vie: cultiver des centres d’intérêt et des activités créatives peut aider à ne plus se fixer sur les symptômes. Pour Diel, il est fondamental de nourrir la part saine de la psyché, celle qui aspire à la beauté et à la vérité. Réactiver la motivation essentielle implique de rétablir un équilibre: on doit certes examiner nos peurs, mais on doit aussi se souvenir de l’élan créateur capable de faire grandir la joie et la confiance.
La principale illusion propre au sevrage consiste à imaginer qu’on serait définitivement impuissant sans benzodiazépines. Une seconde illusion est de penser qu’un simple protocole médical suffira à lui seul, sans transformation de la relation à la peur. Or, même si l’on réduit ou arrête la prise, on risque de reporter l’angoisse sur d’autres conduites si on ne la comprend pas. Ce n’est pas seulement un sevrage chimique, mais un passage de la fuite à la connaissance de soi.
Diel met aussi l’accent sur la lucidité: il s’agit de reconnaître que l’on s’est laissé piéger par la promesse d’un soulagement rapide. Sans se culpabiliser outre mesure, on peut alors revaloriser son pouvoir conscient: l’esprit, conscient de la dynamique de la peur, devient capable de la regarder en face sans s’effondrer. On comprend que l’angoisse n’était pas une fatalité, mais le résultat d’une illusion tenace. Dans ce nouveau rapport à soi, on ne cherche plus à écraser la peur, on l’éclaire, et elle perd peu à peu sa force paralysante.
Le processus de sevrage peut s’étaler sur de longues semaines. Diel ne prône pas la précipitation, mais la persévérance dans la sincérité. Chaque jour, on avance un peu plus dans la démystification de la peur. Il ne s’agit pas de devenir insensible, mais de saisir avec acuité les mécanismes à l’œuvre. Cette vigilance devient une source de libération: en osant regarder l’angoisse, on constate qu’elle dépend de croyances fausses et d’un manque de compréhension de soi.
L’entourage apporte un soutien, mais la clé reste l’introspection. Nul ne peut faire ce travail à la place de l’autre. La méthode dielienne valorise des moments de solitude constructive pour écouter ses émotions et noter ses réflexions. Peu à peu, on cesse de s’identifier à la peur, on la voit comme un signal de déséquilibre plutôt que comme une condamnation.
Finalement, envisager le sevrage des benzodiazépines selon Paul Diel revient à transformer une contrainte médicale en opportunité de croissance intérieure. Plutôt que de se focaliser uniquement sur la privation d’un produit, on se tourne vers la découverte de sa capacité à gérer l’angoisse. La dépendance n’est pas une fatalité, mais le signe d’une quête d’équilibre mal orientée. En replaçant l’angoisse dans le cadre plus large d’une psychologie de la motivation, on valorise la force de la conscience et la possibilité de s’approfondir. Ainsi, le sevrage n’est plus seulement un défi, mais le début d’un chemin d’authenticité. Chaque avancée renforce la confiance en l’élan vital et dans la faculté de se libérer de l’illusion de la faiblesse. Dans cette optique, la souffrance n’est pas reniée, mais perçue comme un appel à la transformation.