La scène de la salle de bain

C’était le 11 octobre 2022. Il était 7h12 du matin quand tu m’as envoyé un message sur WhatsApp, me demandant si je descendais chez toi… ou pas. Juste après, j’ai reçu un appel très énervé de ta part, alors qu’on n’avait pas encore eu de contact ce jour-là. Cet appel, stressé et loin d’être courtois, m’a interpellé : tu me disais de manière insultante que je n’étais « toujours pas là ».

Cela faisait trois jours que la France était plongée dans une pénurie de carburant, avec des prix délirants. La veille, on avait échangé au téléphone parce que je voulais descendre, mais je n’avais pas trouvé de gasoil. On avait fait ensemble le tour des stations alentour, même à 2,20€, il n’y avait plus rien. Je ne pouvais donc pas venir comme prévu pour te permettre d’aller au yoga, et amener ton fils à sa sortie scolaire. Entre temps j’avais appelé toutes les stations d’autoroute, l’une m’as dit être livré vers 6h00, j’allais donc finalement pouvoir venir t’aider.
L’idée, c’était aussi de pouvoir déposer ta fille à l’école. Bref, je t’aidais, gratuitement, sur mon temps et avec mes moyens, dans un moment où tu avais besoin de moi.

Mais là, tu m’appelles en hurlant. Une fois que tu as raccroché, je t’ai texté pour te dire que j’étais dans une file d’attente depuis plus d’une heure à la station sur l’autoroute, où le gasoil coûtait une fortune. Et toi, tu me réponds : « donc le message est clair, tu me plantes ». J’étais stupéfait. J’étais en train de faire tout mon possible pour te rendre service, et toi tu retournais la situation comme si j’étais fautif alors que j’étais là à faire plus que possible !

Donc, cette journée a commencé sous une belle animosité bien dirigée.

Je suis finalement arrivé chez toi à l’heure. Tu m’as à peine dit bonjour, juste un : « y’a plus de café ». Tu m’as regardé avec un regard mi appeuré par ce que je pourrais légitimement te dire, mi dédaigneux comment si je devais m’excuser de quelque chose ! J’ai ensuite emmené ta fille à l’école, puis je suis revenu pour garder ton fils, que j’ai emmené en montagne vers 10h. Cela t’a permis d’aller à ton cours de yoga, le but de tout cela !

J’ai fait l’aller-retour en montagne avec ton fils pour sa sortie scolaire, puis je suis redescendu tranquillement. En revenant, je suis même passé t’acheter une fleur à Intermarché, pour apaiser ton cœur, parce que tu avais l’air bien remontée. J’étais déjà affecté par ton comportement, mais la journée s’était éclaircie, ensoleillée, et ton fils était heureux. Ça m’avait touché.

Je voulais t’apaiser, j’ai donc choisi de te rapporter une fleur au lieu de revenir avec des reproches. Un geste d’amour, simple, pour désamorcer cette ambiance pesante.

Et aussi… du café. Parce qu’il n’y en avait plus.

Quand je suis rentré, tu as été touchée. Tu m’as trouvé adorable, comme tu le disais souvent à l’époque.

Tu m’as couvert de mots tendres. On peut relire les messages, les époques sont différentes. Ce jour-là, j’étais « mignon ».

Puis tu m’as dit être inquiète pour ta formation la semaine suivante, et qu’il faudrait faire le plein. Tu es allée prendre ta douche, et pendant ce temps, je me suis connecté à internet pour chercher une station. J’en ai trouvé une. Il y avait du carburant !

Tout content, j’ai entrouvert la porte pour te l’annoncer. Et là, je me suis fait hurler dessus. Insulté comme si j’avais envahi la salle de bain avec une caméra. Ce fut brutal, incompréhensible, disproportionné. Voilà le déroulé. C’est ce qu’on a appelé plus tard « la scène de la salle de bain ».

En prenant du recul : j’ai eu une nuit agitée, la veille difficile, un départ à 5h pour chercher du carburant… pendant que tu dormais. Et en retour : des reproches violents, injustes, agressifs. Malgré mes efforts pour t’apaiser, tu as ravivé l’animosité de la matinée, en réagissant violemment alors que je t’aidais encore.

Oui, j’ai fini par répondre. Je ne me suis pas laissé faire. Je ne suis pas Jésus-Christ, je ne tends pas l’autre joue éternellement. J’ai haussé le ton, maladroitement peut-être, mais c’était pour me faire respecter, pour me respecter moi-même. Ce n’était pas de la manipulation, juste un ras-le-bol.

Donc non, on ne peut plus parler de moi comme de « celui qui t’a coincée dans la salle de bain ». Il faut regarder l’ensemble. Accuser l’autre d’agression quand c’est toi qui passes ton temps à l’agresser, c’est insoutenable.

Peut-être que tu as toujours fait ça avec les gens qui t’ont entourée. Mais moi, ça ne me convient pas. Donc je le dis : ne viens pas me reprocher de réagir quand tu fais tout pour me pousser à bout. Ta personnalité est toxique, tu es en permanence narcissique, et par-dessus tout, perverse.

Mais évidemment, d’après toi, ce sont toujours les autres, jamais toi.

Analysons ce rapport toxique en s’aidant un peu des travaux de Paul Diel …

  1. Contexte général

Le patient décrit une situation où, malgré un comportement altruiste (se rendre disponible, chercher du carburant dans une situation de pénurie, accompagner les enfants d’une proche), il est confronté à une série de réactions injustes, agressives, humiliantes et dévalorisantes de la part de cette personne. Ce comportement est récurrent et semble s’inscrire dans une dynamique de type pervers narcissique.

  1. Manifestations observables de toxicité narcissique
  • Projection accusatoire : L’individu inverse la responsabilité des tensions. Bien que le patient soit actif et dévoué, il est accusé d’abandon, de trahison, de négligence.
  • Ingratitude systémique : Aucune reconnaissance pour les efforts déployés. L’aide devient un prétexte à critique ou mépris.
  • Dévalorisation émotionnelle : L’entrée partielle dans la salle de bain pour annoncer une bonne nouvelle est interprétée comme une intrusion perverse.
  • Manipulation affective : Alternance entre moments de douceur feinte (« tu es adorable ») et violence psychologique (« hurlements », sarcasmes matinaux).
  • Renversement du réel : La scène est reformulée pour transformer l’auteur de l’aide en agresseur supposé. Diel appelle cela une falsification du sens.
 
  1. Interprétation selon Paul Diel

Diel décrit trois niveaux de l’intention :

  • Le désir authentique (le besoin de rendre service librement, d’aimer)
  • Sa perversion (l’attente d’être reconnu, l’orgueil blessé si ce n’est pas le cas)
  • Et enfin sa falsification (l’autre projette sur le patient sa propre agressivité en lui reprochant d’être nuisible).

La personne perverse narcissique ne reconnaît pas ses intentions inférieures (dominer, contrôler, ne rien devoir), les projette et justifie sa violence par une « réaction » à une agression fictive. Ce mécanisme relève du mensonge à soi, central chez Diel.

  1. Conséquences sur le patient
  • Sentiment d’injustice profond
  • Tentatives répétées de justification
  • Culpabilité injectée artificiellement
  • Epuisement psychique
  • Risque de perte d’estime de soi ou d’activation défensive agressive (cris, reproches en retour)
  1. Voies de sortie selon Paul Diel
  1. Clarifier les intentions
    – Reconnaître que l’on agit bien (intention authentique)
    – Identifier le moment où l’on commence à vouloir prouver sa valeur à l’autre (désir de reconnaissance déplacé)
    – Se détacher du besoin de reconnaissance chez une personne incapable de la donner.
  2. Refuser le jeu projectif
    – Ne pas se justifier face à la mauvaise foi.
    – Nommer les faits, sans agressivité : « J’ai fait ce que j’ai pu, tu es libre de ne pas l’apprécier, mais je ne tolère plus les cris ou les insultes. »
  3. Ne pas entrer dans la scène
    – Lorsque l’autre tente de provoquer une réaction, ne pas réagir émotionnellement mais constater, poser un cadre.
  4. Se retirer sans lutte de pouvoir
    – Éviter de prouver quoi que ce soit.
    – Si l’autre refuse tout échange sincère, mettre de la distance, en acte et intérieurement.

Exemple concret de réponse saine (à adopter dans une future situation similaire)

« Je comprends que tu sois stressée. Moi aussi je le suis. J’ai fait ce que j’ai pu pour t’aider malgré les difficultés. Je ne peux pas continuer à rendre service si je suis accueilli par du mépris ou de l’agressivité. Je te laisse gérer la suite, et je prendrai soin de moi. »

Cette réponse :

  • Ne cherche pas à convaincre
  • Ne nie pas les émotions de l’autre, mais les place dans leur cadre
  • Établit une limite claire
  • Reprend la responsabilité de soi sans prendre celle de l’autre

L’analyse de cette journée montre une répétition de schémas destructeurs alimentés par la projection, l’inversion accusatoire, et la manipulation affective. Le patient, en quête d’amour sincère et de reconnaissance, se retrouve piégé dans une relation où ces besoins sont utilisés contre lui. En se réappropriant son intention vraie, en renonçant à se faire aimer de l’autre à tout prix, il pourra retrouver un axe intérieur stable, sortir du jeu psychologique et réorienter sa vie vers des relations nourrissantes.

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